Retrouvez ici des synthèses de travaux de recherche, comptes rendus d’ouvrages, articles de presse en lien avec les problématiques traitées par l’OPMA.
Là où l'horizon est plat, je ne tiens pas, de Louis Oreiller et Irene Borgna
Glénat, coll. Hommes et montagnes, 2019, 186 pages, 19,95 €
Il s’agit du monologue, organisé par l’anthropologue Irene Borgna, d’un vieux montagnard qui parcourt ses souvenirs. Gamin braconnier pendant la guerre, contrebandier ensuite, manœuvre, garde-pêche, garde du parc du Grand Paradis, garde-chasse, accompagnateur … et conteur à la langue simple, imagée et sincère. On y retrouvera le monde rude et riche des romans de G. Sonnier ou C.-F. Ramuz, et les savoirs et la sagesse d’Emilie Carles. L. Oreiller raconte l’intimité qu’il a gagnée dans la fréquentation de ses montagnes et de sa faune, les compétitions locales à skis ou à pied, les mules et les chiens qui ont partagé et parfois sauvé sa vie, la neige et ses pièges, les heurs et malheurs des habitants de la vallée, et sa lente transformation.
A rebours de la globalisation, son monde c’est le Val de Rhêmes, longue entaille abrupte, tendue entre la Tsanteleina et le Grand Combin. Il en a parcouru chaque ravine, chaque bosquet, chaque vire, « des centaines de kilomètres hors des sentiers, par des vallées et des vallons oubliés des touristes, sur des crêtes et des pas dont la plupart des alpinistes n’ont jamais entendu le nom. » Son travail l’a amené à observer les animaux sauvages, renards, chamois, fouines, bouquetins … « J’ai plus appris d’eux que des gens, même si c’est peut-être un peu honteux de dire ça. » Une patiente exploration de l’altérité sous toutes ses formes. « La montagne, ce n’est pas chez nous […]. En montagne, on doit être attentif et faire attention. Ce sont deux choses différentes et nécessaires toutes les deux : le respect et la prudence … »
De cette vie de montagne, il tire des leçons simples et profondes qui rendent modeste et peuvent accompagner chacun de nous. « C’étaient des années très rudes, il ne faut pas les regretter. Mais conserver ce qu’il y a de positif dans ce monde simple, fait de peu d’argent et de beaucoup d’ingéniosité, ça oui. […]je sais que ça n’existe plus, une monnaie qui n’a plus cours, […] un mot qui a disparu même dans les journaux : dignité. »
« Je suis devenu le seigneur des vires rocheuses, la sentinelle des pas secondaires et l’expert des moraines secrètes. J’ai régné sur ce royaume de cailloux, pas parce qu’il était à moi, mais parce que je lui appartenais. »
Un livre en forme d’introduction au monde montagnard comme un tout, un univers vivant, un mode de vie et de penser « où ils se passe soudain des choses qu’on ne peut pas photographier à moins de renoncer à les vivre … ». Le plus beau livre de montagne de l’année, d’après P. Cognetti.
Etienne Jaillard, Avril 2020
Grimpeur professionnel. Le travail créateur sur le marché du sponsoring, de Guillaume Dumont
Editions EHESS, 250 pp., 2018, 17€
L'auteur, également grimpeur, à l'aide de nombreuses interviews effectuées principalement aux Etats-Unis, analyse la façon dont les grimpeurs professionnels gèrent leur carrière, c'est à dire à la fois maintenir un haut niveau, gérer leur image, et démarcher les sponsors. Passons sur le haut niveau. Gérer son image passe par découvrir dae nouveaux sites et ouvrir de nouveaux blocs, s’adjoindre les services d’un photographe, d’un vidéaste, ou faire tout ça soi-même ou entre amis, les « valoriser » sur les réseaux sociaux, et éventuellement mettre la grande presse dans le coup. Plus on a de likes ou de fans ou de vues, plus on est réputé (l’auteur parle de travail « réputationnel »), et plus on est bankable. Démarcher les sponsors se passe aussi de commentaires, mais il y a les pas doués, qui plafonnent à quelques milliers de dollars par an, les plus commerciaux qui s’en sortent avec 15 000 dollars/an et les stars qui atteignent 70 000 dollars/an. Le grimpeur pro est donc un « auto-entrepreneur » qui gère de A à Z son travail, ou a les moyens d’en déléguer une partie. Mais dans bien des cas, la profession s’« uberise », puisque les sponsors laissent le plus souvent au grimpeur la charge financière de la gestion de l’image (voyage, hébergements sur les sites, appareils de photo ou vidéo, ordinateur ou i-phone …).
Le texte se lit facilement, mais la deuxième partie m’a semblé un peu répéter la première, et se charge en coquilles typos. L'ouvrage m’a intéressé (1) parce que je ne connaissais rien de ce milieu, (2) parce que cette profession, parce qu’elle est jeune et qu’elle s’invente aujourd’hui, pourrait préfigurer l’évolution des professions de plein air, actuellement structurées par des règles et normes anciennes, (3) parce que la gestion de l’image, indispensable pour vivre de cette activité, me paraît en grande partie nourrie par l’ego du grimpeur lui-même, et (4) parce que ce mode d’évaluation, ici du grimpeur, est en train d’envahir notre société (les chercheurs, par exemple, comprendront).
Etienne Jaillard, Janvier 2019
Histoires verticales. Les usages politiques et culturels de la montagne, XIVe-XVIIIe siècle, de Stéphane Gal
Editions Champ Vallon, 456 pp., 2018 29 €
La revue L'Histoire annonce la publication de cet ouvrage. "Si la montagne a une histoire, tout porte à croire qu'elle est verticale. Voici l'intuition vérifiée par S. Gal (Univ. Grenoble-Alpes). La verticalité appelle d'abord des métaphores: le dépassement de soi, l'audace de la conquête di sommet, l'ambition de l'élévation, les hauteurs spirituelles de la foi. Mais aussi le déclin, le précipice, la chute ou l'orgueil d'une ascension mal préparée. Ces registres sont largement convoqués par l'historien pour définir les pratiques et les usages, notamment de la politique, en milieu montagnard, du Moyen Âge aux Lumières. Une belle part est consacrée à la Renaissance, tant la découverte des Alpes est liée à cette épopée que fut la "tranchée des monts" par François Ier, conduisant chevaliers et canons pour triompher à Marignan. Cette verticalité s'exprime aussi dans l'ambition matérielle de la construction (les forteresses et les "citadelles du vertige"), de l'exploitation (la géographie étagée du travail), de la circulation et de la progression (la naissance de l'alpinisme entre XVIe et XVIIIe siècle). A la croisée de ces valeurs se tient l'identité imaginaire des montagnards, eux aussi verticalisés:d es héros allobroges aux crétins des Alpes, l'echelle descend (ou grimpe) de nombreux barreaux. Pourtant, ces identités forment la même cordée."
L'Histoire, Janvier 2019, n°455